vendredi 5 octobre 2012

De nouvelles dérives des chaussures à la mode

A la base, les notions de "mode" et de "tendance" ont été inventées pour encourager les consommateurs à renouveler leur garde-robe aussi rapidement que possible - généralement tous les six mois - afin de ne pas paraître ringards ou, pire, démodés.

Qu'a-t-il en commun avec....
Si on compatit souvent avec les "fashion victims" qui se laissent entraîner par ces sirènes, a-t-on jamais, ne serait-ce qu'une fois, une pensée pour ces pauvres "directeurs artistiques" dont le métier est d'inventer en flux constant des nouveaux modèles pour alimenter ce long fleuve hystérique qu'est l'industrie de la mode? 

On comprendrait alors pourquoi, sous la pression semestrielle du cycle des collections, ceux-ci imaginent des produits qui, comme le dit joliment le journal Metro, "risquent bien de provoquer des hauts le cœur devant votre dressing." En effet.

 Cette pression constante débouche sur des résultats surprenants.

En fait, les pires résultats apparaissent généralement quand un "génie" de la mode imagine de réinterpréter un grand classique, mais deux autres phénomènes sont aussi générateurs de catastrophes esthétiques: l'association de deux marques que, par ailleurs, tout sépare, et la volonté d'une marque de se diversifier dans un domaine qu'elle ne connaît pas.
...cet ado californien?

L'actualité récente nous propose deux nouvelles dérives que ce blog, toujours prêt à défendre ses lecteurs contre les atteintes à la pudeur calcéophile, vous présente comme contre-exemples des valeurs qu'il défend.

Nous avons vu récemment le résultat de 'association entre John Lobb et Paul Smith, deux marques que tout sépare; voici maintenant que Barbour et Vans se sont associés pour mettre au point une "édition limitée" pour l'automne-hiver 2012-2013, baptisée "Barbour by Vans California" qui met les chaussures Van au goût anglais.


Town & Country rencontre l'Urban Chic

En fait, cela veut dire que certains modèles Vans - qui se veut la chaussure favorite des skateboarders - ont été réalisés en toile cirée et doublés avec le nouveau tartan Barbour; ils reprennent aussi d'autres "codes" de la marque anglaise, "à savoir le vert camo, les velours côtelés et les détails en cuir," sans oublier le bout fleuri, avec les perforations type "brogue," de l'un des modèles.

Outre le fait qu'on ne voit pas immédiatement l'attrait que peuvent avoir des chaussures en toile cirée en Californie, où la pluie est aussi rare que le soleil l'est à Londres, on ne comprend pas quel intérêt ces deux marques ont pu imaginer à leur association.

La gamme Barbour by Vans California
Barbour, marque réputée pour ses vêtements chics pour la campagne, trouve ses clients parmi les gentlemen farmers anglais, ceux qui veulent les ressembler, et ceux qui recherchent des vêtements de qualité, traditionnels et efficaces. Vans, au contraire, chausse les ados californiens qui font du skateboard, et tout ceux qui veulent leur ressembler.

Les skateboarders voudraient-ils adopter le "look" des gentlemen farmers anglais? Ces derniers auraient-ils le rêve secret de se déguiser en skateboarders californiens? On peut en douter, mais c'est pourtant ce que suggère cette association.

On est curieux de savoir quelle étude sociologique, quel sondage, quelle étude marketing a pu convaincre les instances dirigeantes de ces deux sociétés d'approuver ce projet contre nature. En tout cas, il vaudrait mieux, en effet, que ces deux communautés tombent amoureuses l'une de l'autre, seul espoir d'éviter que cette collection ne sombre dans l'indifférence.

J'oubliais: les "Barbour by Vans California" coûteront entre 95 et 110€, alors que les baskets Vans courantes sont vendues autour des 60€: un prix majoré de quelques 50% qui pointe au moins l'une des raisons de cette initiative.

Incidemment, au moment où nous terminions la rédaction de ce billet, nous apprenions une autre initiative marketing de Vans: "En juillet 2013, Metallica célèbrera le 30e anniversaire de l'album Kill 'Em All et, pour l'occasion, la formation a fait équipe avec Vans pour créer une chaussure à son image, dont la sortie est prévue pour ce mois-ci." Musique rock et skateboarders: voilà une certaine logique à cette association qui manque à la précédente.

Punk Historique rencontre British Traditional

Un deuxième contre-exemple en cette rentrée 2012 nous vient  d'un mocassin pour homme récemment présenté par Vivienne Westwood. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, cette dame est présentée en ces termes sur un site marchand qui vend ses modèles homme:  "La papesse du punk et l’impératrice des podiums londoniens Vivienne Westwood .... s’amuse inlassablement de frotter les codes bourgeois au poil à gratter underground et contestataire pour faire souffler un vent excentrique, coloré et un brin provoc’ sur le bout de vos pieds."

Que nous propose alors notre papesse du punk en matière de chaussures pour hommes?

Elle avait déjà dessiné un premier modèle, le Wilson, qui est une véritable innovation dans la mesure où il s'agit d'un derby brogue 100% synthétique. On ne le trouve plus, depuis quelques jours, sur le propre site de Vivienne Westwood.

Le Wilson: un brogue 100% synthétique à 239€
Selon sa fiche technique, il comprend:
-- Dessus / Tige : Caoutchouc
-- Doublure : Synthétique
-- Semelle intérieure : Synthétique
-- Semelle extérieure : gomme,
-- Construction : Soudée.

Cette chaussure 100% plastique noir pelliculé et vernie est vendue 239€ ou 243€ - c'est selon le jour, semble-t-il.

Mais cette farceuse de Vivienne s'est amusée encore un peu en mettant sur le marché un mocassin, le Warren, qui est probablement la première chaussure pour homme réalisée d'une seule pièce, en plastique injectée. Et, tout comme la précédente, sa composition est 100% synthétique.

Dévoilé en couleur aubergine, mais également proposé en bleu ciel, noir et bleu roi, avec semelle et talon teintés dans la masse, ce mocassin arbore fièrement sur son plateau le logo de VW en métal doré et émail bleu roi. Vendu 175€,  ce mocassin serait déjà "bientôt épuisé" d'après un site français qui le vend.

Westwood Warren, en plastique injecté
On peut prendre ces deux modèles comme une farce, comme un pied de nez, de la papesse du punk aux traditions, mais vu le prix auquel ils sont proposés il s'agit plutôt d'une nouvelle tentative de profiter des crédules obnubilés par les marques. 

Car d'un point de vue technique ces chaussures ne présentent aucun avantage, si ce n'est qu'elles sont (ou devraient être) imperméables, mais on imagine aussi le pied transpirant à flots, enfermé dans cette enveloppe étanche en plastique. Réflexion faite, c'est peut-être pour éviter ce bain turc que le Warren dispose de deux petits trous d'aération, rivetés en métal doré, sur sa partie intérieure sous la cambrure (non visibles sur la photo), et sur l'utilité lesquels on s’interrogeait.

Voilà donc deux initiatives assez malheureuses - du seul point esthétique, car aujourd'hui tout ce qui porte une marque connue se vend comme des petits pains - qui dénaturent l'image des sociétés qui s'y adonnent. On a cependant une certaine compassion pour ces grandes marques, obligées de renouveler leurs gammes afin d'attirer une nouvelle clientèle; et il est vrai que les associations entre marques sont une façon assez simple et économique d'y arriver, en partageant les risques et les frais de l'exploration de nouveaux marchés hypothétiquement porteurs de croissance.

Jusqu'au désespoir des clients?

Le danger corollaire est de dénaturer la marque, de s'éloigner des valeurs qu'elle représente et sur lesquels elle a bâti son succès commercial, pour gagner quelques points de croissance ou de marché. Et la dégringolade est très rapide, comme en témoigne la marque Lacoste, après qu'elle ait voulu rechercher une nouvelle clientèle.

Dans cette perspective, Vivienne Westwood a moins à perdre que Barbour car ses deux chaussures ci-dessus sont, en fait, tout à fait conformes aux valeurs fondamentales de sa propre marque: anti-conformisme, excentricité, et contestation "un brin provoc'.

Pour Barbour, c'est tout le contraire, et elle n'a rien à gagner dans cette dérive vers l'urban chic, diamétralement opposé au style "country classic " sur lequel elle a bâti son succès. La société semble à la dérive dans sa recherche d'une nouvelle clientèle: par exemple, Barbour a signé une ligne de vêtements avec Paul Smith qu'elle promeut avec des mannequins émaciés et d'apparence maladive: là encore, tout le contraire de l'idée que l'on se fait de la vie au grand air pour laquelle elle avait réalisé ses premiers vêtements, les célébrissimes vestes en coton huilé qui l'ont rendue célèbre.

Si elle n'y prend garde, cette dérive risque de tourner en déroute. 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire