dimanche 9 février 2014

L'entretien: un investissement nécessaire,
utile et bon marché

(Je reprends l'écriture de ce blog après une longue interruption, pendant laquelle la fréquentation a augmenté régulièrement, jusqu'à établir un record en janvier 2014. Il y a donc une demande pour cette approche au monde de la chaussure de qualité. Merci aux lecteurs.)


Au bénéfice d'un récent déménagement, j'ai eu l'agréable surprise de retrouver de vielles chaussures que, cachées dans la cave, j'avais oubliées depuis leur achat qui remonte à .... janvier 1986. Si je suis aussi affirmatif sur la date, c'est parce que cet achat a eu lieu l'avant-dernière fois qu'il a neigé à Rome - la dernière fut 30 années plus tard, en 2006 - où j'étais arrivé pour un reportage, bien chaussé pour une capitale Méditerranéenne mais pas pour Rome, ce jour-là. 

Donc, il fallut rechercher rapidement une paire de chaussures pas trop moche, mais pas trop chère; supportant la neige, mais pouvant aussi être portée après, car je ne suis pas un adepte des chaussures-kleenex, et bien entendu fabriquées avec des matières convenables, c'est à dire naturelles....

Voilà ce qu'on achetait encore, il y a 30 ans, pour moins de 20€ d'aujourd'hui: mes chaussures romaines. En 2014, on n'aurait même pas des modèles chinois soldés pour ce prix.
A cette époque bénie d'avant l'euro, l'Italie était encore un paradis pour les visiteurs venant de pays à la monnaie (relativement) forte, et il me semble les avoir payées environ 15-20,000 lires, à peu près 75-100 francs d'alors, soit 11 à 15 euros.  A titre de comparaison j'ai souvenir d'avoir payé environ 800-900 francs pour une paire de Paraboot, achétées aussi pour la neige, dix ans plus tard.

Après l'histoire, la réalité

Heureux de les avoir retrouvées, car j'en ai l'utilité à la campagne, si jamais il se met à y neiger, j'ai procédé de la façon la plus simple qui soit, et que je conseille par défaut: la graisse. J'ai déjà expliqué comment le graissage remplace avantageusement le cirage, mais là c'était indispensable. Bêtement, je n'ai pas pensé à les photographier dans leur jus, mais ces boots étaient desséchées, déformées, et marquées par d'importantes traces de sel, car manifestement je le ne avais pas nettoyées avant de les ranger.

Première étape: enlever le sel. Avec une brosse drue, on enlève le plus gros, puis on passe une éponge ou un linge humides, plusieurs fois si nécessaire en laissant sécher (Attention: surtout pas près d'une source de chaleur) entre chaque passage. L'avantage de ce nettoyage humide est que, à terme, il facilite la pénétration de la graisse tout autant qu'il dessale le cuir.

Ce que j'ai trouvé de mieux pour le cuir
La graisse que j'utilise pour toutes mes chaussures est la Chelsea Leather Food, un produit anglais assez remarquable qui convient à l'entretien de toutes sortes de cuir, et que l'on trouve aisément sur internet. Il existe des produits bien plus chers, porteurs de marques bien plus prestigieuses (quoique....) mais elles n'apportent rien de plus que celle-ci, et parfois bien moins. (Voir à ce propos un précédent post: "pas de cirage.")

Armé d'un chiffon en coton épais, j'ai passé deux couches successives de graisse, en prenant soin qu'elle pénètre bien dans le cuir ainsi que les coutures, dont elle garantit la longévité. Le cuir prend graduellement une belle teinte mate, qui ne dissimule pas ce qui reste des marques de sel, et s'assouplit de manière assez surprenante, surtout après un si long abandon.

Anatomie d'un achat:
Voilà les chaussures romaines une fois graissées et mises sur embauchoir avant une deuxième couche de graisse dans quelques jours, une fois sèches. Que peut-on dire de ces chaussures? Que valent-elles maintenant?

Le problème des chaussures portée, mouillées et mal séchées, c'est notamment qu'elles plissent, et encore davantage si elles sont trop grandes (chaussettes épaisses obligent). On n'y peut pas grande chose, mais les plis s'estomperont avec des embauchoirs à la bonne taille et des graissages répétés.

Il n'en disparaîtront pas pour autant, mais est-ce bien grave pour des chaussures destinées à être portées dans la boue ou dans la neige?
Malgré leur prix plus que raisonnable, mes chaussures romaines sont de qualité plus qu'acceptable.

Il s'agit de chukka boots entièrement en cuir, doublés de cuir jaune et légèrement rembourrées pour isoler du froid. On notera, sur la photo du haut, que les lacets bicolores sont assortis au cuir extérieur et à la doublure....bon marché, mais chic!
On remarquera également les œillets métalliques, qui n'ont pas rouillé depuis tout ce temps, et qui sont donc probablement en laiton à six côtés.
La semelle en caoutchouc est épaisse (1,5 cm), et porte de surcroît des gravures anti-dérapantes - utiles sur neige et verglas. Mais la semelle montre aussi combien peu elles ont été portées.
Comme on peut le voir ci-dessus, le montage est somme toute complexe, avec un cousu norvégien et double trépointe. Il y a également deux semelles intermédiaires avant celle au caoutchouc, ce qui assure étanchéité et isolation thermique.
Le cuir, malgré le graissage, porte - hélas - les marques de mon incurie, et on voit bien les petits plis qui font que ces chaussures ne récupéreront jamais leur éclat d'origine. Mais, finalement, est-ce anormal que des chaussures portent les traces de leurs vie de baroudeur? Au moins, on verra que vous utilisez vos chaussures pour l'usage pour lequel elles ont été fabriquées, et non pas pour flâner dans un salon.

Pourquoi ne trouve-t-on plus ce genre de chaussures, dans cette catégorie de prix?

Parce que les fabricants qui y voyaient encore un intérêt il y a 30 ans ont fermé boutique, les marges ayant violemment rétréci, et seuls les fabricants chinois (merci à l'Organisation Mondiale du Commerce) sont en mesure de nous noyer sous des millions de chaussures à prix abordables, mais de piètre qualité.
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Quel enseignement faut-il en tirer? Pas grande chose, car l'économie de manière générale, et l'économie de la chaussure en particulier, a été bouleversée au cours de la dernière décennie.
Mais en tout cas n'espérez pas trouver, en cas de chutes de neige imprévues, des chaussures aussi bon marché et d'aussi bonne qualité que j'ai pu le faire il y a 30 ans.

Un conseil: pensez plutôt aux bottes en caoutchouc pour vous dépanner. On en trouve maintenant des pas chères, étanches et ne nécessitant aucun entretien, partout ou presque, pour quelques euros.