dimanche 15 juillet 2012

Le brogue: une chaussure celte pour l'Angleterre (2ème partie)

Dans notre précédent épisode, nous avons résumé l'origine des brogues, et avons vu qu'elles étaient probablement nées en Irlande du Nord, puis ont gagné l'Ecosse avant d'être adoptées par la "gentry" anglaise au XIXème siècle. Nous passons en revue ci-dessous les différents types de brogues, sachant qu'ils ne diffèrent entre eux que par leur laçage (oxford ou derby) et surtout, par l'exubérance de leurs décorations, que l'on appelle brogueing et, faute de mieux, fioritures ou perforations en français.

Le premier modèle de brogues lacés - les seuls véritables, à notre sens - est le "full brogue", ou brogue entier, dont les décorations sont les plus exubérantes. Elles comportent à la fois des perforations sur la pointe et des lamelles décoratives, portant alternativement de gros et petits trous, sur l'avant et les côtés, selon un patronage dont la forme peut varier sensiblement.


Longwing brogue de Robinson en laçage ouvert (derby)*
Le "full brogue", modèle emblématique du genre, existe en deux variantes qui diffèrent par la forme de leurs décorations latérales.

Sur le "longwing brogue," ces décorations partent de la pointe avant, s'étendent sur toute la longueur de la chaussure et se rejoignent à l'arrière, formant ainsi une sorte de ceinture perforée entourant le pied à mi-hauteur.

Le "wingtip brogue" se distingue car ses décorations latérales rejoignent une première fois la semelle à mi-longueur, puis remontent en repartant vers l'arrière où elles rejoignent le talon. Le nombre et la forme de ces bandes  perforées varie selon le modèle et le fabricant, ainsi d'ailleurs que la forme et la disposition des perforations elles-mêmes.

Full brogue de chez Cheaney en laçage fermé (oxford)*
Les principales autres variantes de brogues se distinguent aussi par la nature et l'étendue des perforations sur leur pointe avant. Outre le full brogue décrit ci-dessus, on trouve le demi-brogue (en anglais, half-brogue ou encore semi-brogue) dont les perforations se limitent à la pointe avant, elle-même séparée du reste de la claque par une bandelette perforée et disposée transversalement sur toute la largeur de la chaussure, de semelle à semelle.

Half-brogue oxford de chez Cheaney*
Le quarter-brogue Guildhall de chez Loake*
Poursuivant la descente de l'échelle des fioritures, on trouve enfin la quart de brogue (quarter brogue pour nos amis anglais) qui est en fait une chaussure à bout lisse, dont la seule décoration sur l'avant est la lamelle perforée qui sépare la pointe de reste de la claque. Ce modèle a généralement des perforations moins étendues sur les côtés, vers l'arrière.

Vous pensiez être arrivé au bout? Pas tout à fait encore.

Pour chacun de ces modèles lacés, on trouve les deux types de laçage habituels: l'oxford (en français, richelieu, dont le laçage est fermé), et le derby (dit blucher aux Etats-Unis), dont le laçage est au contraire ouvert, entre  garants appliqués sur la tige, et ne faisant pas partie de celle-ci comme dans la précédente variante.

De façon générale, sachez que l'on considère que le brogue le plus habillé est celui qui a le moins de trous.

De même, le derby est moins habillé - et plus sportif - que le richelieu, de sorte que l'on pourra aisément établir un classement permettant de choisir le style de chaussure le plus adapté à chaue circonstance.

Ainsi, on choisira de préférence un "full brogue" pour une partie de chasse ou une balade à la campagne, mais un quarter-brogue pour une circonstance plus formelle, alors qu'un demi-brogue convient parfaitement pour le bureau ou un dîner en ville. Sans oublier que la chaussure la plus formelle est celle qui n'a aucune décoration.

On terminera cette revue des brogues lacés par le ghillie, modèle que l'on porte soit avec un kilt (surtout en Ecosse, parfois en Irlande mais toujours avec d'épaisses chaussettes en laine, de couleur blanc cassé), soit pour danser les claquettes (là, c'est surtout en Irlande). Les ghillie brogues - leur nom vient du mot gaélique qui signifie guide de chasse ou garde-chasse - sont dépourvues de languette, et les chaussettes restent bien visibles sous les longs lacets, qui montent haut pour être finalement noués à mi-mollet.

Des fausses notes....

Le ghillie brogue se porte avec un kilt
Etonnamment, il se trouve aussi des mocassins brogués, qui existent aussi bien en version lisse qu'en version à boucle, simple ou double, que les anglais appellent "monk shoe" en souvenir des moines qui auraient, les premiers, adopté ce type de fermeture.

Nous ne saurions trop déconseiller ce type de modèle qui, en rassemblant des attributs hétéroclites, dénature la raison d'être de chacun.

Il existe aussi d'autres variantes de brogues encore plus vilaines. Outre les simples mocassins brogués, on trouve parfois des modèles associant broguage et pompons ou même - horreur absolue - un brogue lacé à six trous garni d'un pompon récemment présenté par son créateur dans les pages "mode" d'un magazine hebdomadaire. Par pitié, nous tairons le nom de la marque pour laquelle oeuvre ce styliste, auquel on ne saurait trop conseiller de changer de secteur.

La seule fantaisie que l'on peut admettre sur un brogue - et encore, seulement sur un parcours de golf, ou à sa proximité immédiate - est la languette en cuir à franges verticales qui protège le laçage des brogues cloutés, et qui se révèle très utile lorsqu'on joue sous la pluie.

...et des extravagances à éviter

Le brogue est une véritable chaussure traditionnelle, issue d'une histoire spécifique et qu'il convient de respecter. On veillera donc à éviter les variantes imaginées par de prétendus créateurs de mode qui pensent que le génie réside dans l'originalité. Ces hurluberlus inventent ainsi les modèles les plus invraisemblable dans le seul but d'inciter les gogos à se séparer de leur argent en leur faisant croire qu'ils achètent un article à la pointe de la mode, et donc forcément désirable.

On peut voir ci-dessous, dans toute leur horreur, deux de ces modèles qui ridiculisent le concept même du brogue en voulant rechercher à tout prix une ligne inédite.

Le premier, ci-contre à gauche, est une véritable caricature de ce qu'est le brogue. D'abord, il s'agit d'un derby à trois oeillets, alors qu'une chaussure de bonne tenue n'en a jamais moins de cinq, ni plus de six.

De surcroît, son créateur a cru bon de l'affubler d'un pompon démesurément grand - un non-sens pour une chaussure à lacets - aboutissant ainsi à une chaussure qui est un condensé de ridicule par excellence.

Pour vous rassurer, sachez que son fabricant n'est pas britannique, et qu'il base toute sa stratégie marketing sur l'affirmation que ses chaussures "respirent"....en voyant ce modèle, on comprend aisément qu'il ne pouvait espérer le vendre sur son esthétique.

Ci-dessous, un autre de ces modèles fantaisistes qui feraient frémir d'horreur un honnête bottier anglais: il s'agit d'un mocassin brogué, affublé d'une languette à franges perforées et, comme si cela ne suffisait pas, d'une fermeture à double boucle, le tout monté sur une semelle trop fine et un talon trop bas. On notera également la forme disgracieuse des coutures latérales, notamment celle à l'arrière.

Il s'agit là d'un amalgame d'au moins quatre attributs venant de chaussures très différentes, et qui n'ont rien à voir ensemble. Et le pire est que le malheureux qui les portera se croira élégamment chaussé, et ne se rendra pas compte du ridicule qu'il suscite parmi tous ceux qui ont un minimum de culture de belles pompes.

Il est est de même pour d'autres inventions "mode," comme par exemple ces pointes pliées qui repiquent vers le haut....mais ceci est une autre histoire.



N.B.: les modèles identifiés par un astérisque (*) sont en vente sur Britannic Shoes, notre boutique en ligne où l'on ne trouve que de la vraie chaussure britannique, traditionnelle et de bon goût.


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