vendredi 17 août 2012

La fâcheuse question des patines

Chaque passion à laquelle on succombe évolue inévitablement, et après un début où l'on est fidèle aux règles, l'on se plaît, au fur et à mesure que l'on prend de l'age et du galon, à en explorer les limites les plus reculées, cherchant ainsi inconsciemment à entretenir ou à renouveler une passion qui s'étiole dès qu'elle n'innove plus. C'est ainsi que l'on arrive, presque sans s'en apercevoir, aux pires excès qui dénaturent, finalement, la passion que l'on ressentait à l'origine. C'en est ainsi, aussi, pour les chaussures.

La variété des styles, des patronages, des matières dans lesquelles sont produites les chaussures pour homme est telle qu'elle pourrait suffire à nourrir la passion de tout un chacun. Mais ce n'est pas le cas, et nombre d'amateurs de chaussures, qui se glorifient en se nommant "calcéophiles", dérapent vers ce qu'on est bien obligé de reconnaître comme une perversion: la décoration à la main des chaussures. D'ailleurs, les américains ne s'y sont pas trompés, qui parlent de "shoe porn" (pornographie des chaussures) dès que la plastique et le visuel deviennent les éléments dominants.

Des chaussures en bois? Non, une patine "acajou"
Cette introduction un peu alambiquée nous amène au sujet d'aujourd'hui: les extravagants détournements que constituent les patines et peintures à la main dont raffolent certains amateurs de chaussures -- pardon, certains calcéophiles.

Une chaussure, comme un meuble ancien, embellira au fur et à mesure qu'elle recevra des couches successives de crèmes et cirages, lustrés avec beaucoup d'huile de coude, et qui finiront par constituer une décoration très personnelle, surtout si l'on varie un peu teintes et couleurs en y ajoutant un peu d'eau. Mais, comme pour les meubles anciens, cette patine doit être à la fois graduelle, naturelle et presque involontaire, de façon à ce que le résultat paraisse presqu'un hasard.

Rien de plus apprêté, de plus artificiel et plus proche du vulgaire que des chaussures dont le propriétaire s'est donné le mal de les patiner ou de les peindre. L'élégance demande - mieux, exige - le naturel, et on ne doit jamais donner l'impression d'avoir peiné pour l'atteindre: ce que les italiens appellent "sprezzatura," une sorte de dédain pour tout ce qui ne vient pas naturellement et sans effort, est l'élément essentiel de l'élégance bien vécue. On accepte bien que les meubles demandent des décennies de cirage, de lustrage et d'entretien pour acquérir une patine; pourquoi voudrait-t-on alors, pour les chaussures, que cela ne prenne que quelques heures?

On comprendra donc de tout ceci que les personnes qui patinent leurs chaussures ou, pire encore, qui paient quelqu'un pour le faire à leur place, ont à notre avis une approche étrange de la beauté. En effet, ils maquillent par des artifices, jusqu'à le dénaturer, l'objet qu'ils prétendent aimer. Et c'est encore pire lorsqu'il s'agit de peindre des chaussures, même à la main: c'est alors l'hérésie complète et absolue car c'est la négation même du travail de l'équipe qui a dessiné et réalisé une paire de chaussures dont la forme, la couleur, le patronage, l'aspect et les mesures forment un ensemble homogène. En modifier un seul élément, c'est dénaturer le tout.

Pour expliquer son commerce, l'un des professionnels du "relookage" de chaussures écrit qu'il "adapte (s)es créations à votre personnalité a fin de peaufiner, pas uniquement votre look, mais également votre bien-être car les souliers restent quelque chose d'intime… ce qui doit vous caractériser..."

Pourquoi pas, puisqu'il s'agit d'un argument de vente, mais on se demande bien quelle personnalité intime peut être exprimée par des chaussures "finies" comme celles-ci, trouvées au hasard en quelques secondes sur Internet. Il en existe des centaines, dans tous les tons et toutes les couleurs.

On notera aussi, au-delà des couleurs, les formes très particulières de ces chaussures, qui semblent avoir été dessinées dans le seul but d'étonner par n'importe quel moyen, sauf celui du travail bien fait dans les règles de l'art.

On se demande volontiers quelle impression pensent donner d'eux-mêmes les personnes arborant de telles chaussures à leurs pieds, sans même penser à la difficulté d'y assortir costume et cravate, et à la difficulté plus grande encore de ne pas faire peur aux chevaux lorsqu'on sort dans la rue.

Les personnes qui se lancent dans ce genre d’œuvre se retrouvent périodiquement pour des "soirées patines" où, chacun ayant apporté ses propres spécimens, ils peuvent s'admirer réciproquement et cirer ou patiner, ensemble, leurs chaussures.

Pourquoi avoir parlé, en titre, de la "délicate question" des patines?

En fait, même les plus excessifs des amateurs de chaussures restent, au final, des amateurs de chaussures, et doivent être reconnus comme tels car il ont, de ce seul fait, un bon fond. Le problème, c'est qu'ils ont été attirés hors du bon chemin par des bonimenteurs qui ont du leur promettre, ou leur faire miroiter, qu'avec de telles chaussures ils deviendraient plus beaux, plus séduisants, plus à même de faire des envieux....

Il n'en est rien.

Hissons donc haut de pavillon de la réforme; insurgeons-nous contre de tels excès qui frôlent, de fait, la calcéophobie; et essayons de ramener ces brebis égarées dans le droit chemin, celui-là même où marchent, confiants, les vrais amateurs de vraies chaussures; c'est à dire tous ceux qui savent que, bien choisi et bien entretenu, un beau brogue suscitera toujours bien plus d'admiration que n'importe quelle chaussure peinturlurée de toutes les couleurs qui, telle une vielle beauté désormais fanée, est obligée de se cacher derrière une véritable couche géologique de maquillage.



3 commentaires:

  1. mmm mouais, pas terrible comme article...

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  2. Merci pour ce commentaire très constructif.

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  3. Pourquoi pas oui, pourquoi ne pas se dire que c'est de trop et finalement provoquer prématurément un aspect. De l'autre côté les fabriquants eux mêmes appliquent coloris sur les cuirs sur les souliers. N'est ce pas déjà au delà du naturel?

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