jeudi 29 novembre 2012

Blucher, gibson et derby : même combat?

Il existe une variante pas très répandue de la chaussure que l'on connaît sous le nom de derby, et qui a acquis une identité propre -- en fait, une double identité car elle est appelée gibson au Royaume-Uni et blücher en Allemagne et dans les pays d'Europe centrale ainsi que, de manière plus surprenante, aux Etats-Unis. De quoi s'agit-il?

derby, blücher ou gibson?
Ces trois noms désignent des chaussures à laçage ouvert : seraient-ils interchangeables, une nouvelle manifestation de la tendance qui veut que, en matière de chaussures comme ailleurs, l'on fasse compliqué quand on pourrait faire simple?

A la base, blücher et gibson sont simplement d'autres noms pour le patronage derby, qui se caractérise par la présence de garants cousus sur une claque unie, c'est à dire constituée d'une seule pièce de cuir qui comprend aussi la languette.

Serait-ce là leur seule différence?

Pas vraiment. En fait, alors que la claque du derby peut être décorée, perforée ou broguée,  celle des blücher et gibson est unie, et ne porte aucune décoration. C'est ce qui leur donne une apparence simple, dépouillée, qui en fait le style préféré des chaussures militaires, et notamment des chaussures d'officier.

Si l'origine du terme gibson s'est perdue dans la nuit des temps, on en sait davantage sur l'origine de blücher. Ce nom fait référence à un général prussien, le comte Gebhard Leberecht von Blücher, devenu plus tard prince de Wahlstat, qui affronta Napoléon 1er à la bataille de Leipzig, puis à la bataille de Waterloo, où son arrivée (quoique tardive) en renfort des anglais commandés par le Général-Duc de Wellington permit aux coalisés de l'emporter.

Ce qui nous permet d'observer, à titre anecdotique, que les généraux victorieux à Waterloo, Blucher et Wellington, ont tous deux donné leur nom à des chaussures, fait rare, sinon unique, dans les annales d'histoire militaire.

Le modèle Chester Arthur: le gibson de Robinson's Shoes
Le général Blücher, donc, était renommé à l'époque pour deux traits de caractère: c'était un fonceur impétueux, surnommé le "Maréchal en avant," et qui donna naissance à l'expression allemande "ran wie Blücher" ("charger comme Blücher"). Il était aussi, pour revenir à nos moutons, connu pour se soucier du bien-être de ses hommes, ce qui était assez inhabituel à l'époque.

C'est à ce titre, selon la légende, qu'il inventa pour ses fantassins une botte à laçage ouvert, nettement plus confortable que les modèles alors en service. Elle était nettement plus facile à chausser et à enlever au bivouac -- ce qui, compte tenu des distances que les soldats parcouraient à pied à cette époque, devait constituer une avancée considérable. Surtout, le laçage ouvert permet d'élargir ou resserrer, au besoin, le bas du laçage, l'adaptant ainsi à la forme du pied pour un meilleur confort.

Et quand les bottes furent raccourcies pour devenir des chaussures basses, au cours du 19ème siècle, le nom de Blücher resta, et s'applique désormais à tout derby simple, sans décoration, ce qui en fait un style qui convient très bien aux chaussures d'officier.

Si cette histoire est vraie - et le nombre de sources qui en attestent tend à l'accréditer - c'est donc le Général Blücher qui aurait inventé, le premier, le style derby que les anglais se sont ensuite appropriés. Et c'est donc très injustement que, selon le dictionnaire Collins, le substantif blücher est désormais obsolète -- même si on peut comprendre que les événements depuis Waterloo aient pu dissuader les anglais d'intégrer un nom allemand à leur lexique de chaussures.

L'appellation derby, rappellons-le, est aussi moins restrictive car elle s'applique à n'importe quelle chaussure ou bottine à laçage ouvert, qu'elle soit broguée ou pas, et reste donc plus générique que gibson et blücher.

Autre gibson, le modèle Stamford, de Loake
Nous n'avons pu par contre trouver aucune information quant à l'origine de l'appellation gibson, si ce n'est qu'elle est utilisée au Royaume-Uni pour désigner le même style que blücher et derby. Même si certains voudraient inventer des distinctions en fonction du nombre et de l'orientation des coutures des garants, voir du nombre d'oeillets, ce ne sont que des affirmations invérifiables et auxquelles nous n'accordons aucun crédit.

Voilà donc encore un modèle de chaussure dont le nom a des origines militaires - mais qui, pour une fois, ne sont pas anglaises. Combien d'hommes en portent, aujourd'hui, sans le savoir?

Ceux qui maintenant savent, grâce à ce billet, mais qui n'en portent pas encore, peuvent aisément en trouver dans notre boutique en ligne, Britannic Shoes, où en plus des deux modèles illustrés ci-dessus ils pourront également trouver plusieurs modèles plus "casual" dans la rubrique de ce nom.




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