lundi 17 septembre 2012

Lobb, vous avec dit Lobb? Non, je veux dire Lobb!
Mis à jour le 6 décembre 2012

Dans le monde de la chaussure de qualité, le nom de John Lobb a une consonance quasi magique; il symbolise en quelque sorte le nirvana de la chaussure sur mesure, que tout amateur de belles choses espère ajouter un jour à sa collection. Bien plus que la Rolex chère à Jacques Séguéla, une chaussure de chez Lobb incarne la réussite, et ce d'autant mieux qu'elle est discrète, et reconnue des seuls initiés.

C'est pourquoi l'annonce, l'autre jour, d'un partenariat entre John Lobb et le "styliste" anglais Paul Smith avait de quoi surprendre. Voilà donc que le bottier le plus connu au monde, inventeur entre autres de l'iconique chaussure à double boucle (double monk), s'associe à une société anglaise de mode masculine dont la réputation est à mille lieues de la sienne propre. Etrange partenariat, en effet....

Nous avons déjà pu nous faire une idée de la durée de vie des chaussures Paul Smith, et on peut juger de ses qualités de styliste en regardant sa dernière collection de chaussures, dont nous nous bornerons à dire qu'elle n'est pas notre tasse de thé.

On peut aussi se faire une idée de ses pratiques commerciales en observant qu'il vend une boîte de cirage au prix de 14€ les 50ml, près de trois fois le prix du Saphir Médaille d'Or (4,95€ les 50 ml), et près du double du cirage Burgol (9,52€ les 60 ml), les références en la matière.

On relèvera, aussi, que Paul Smith affirme que ce cirage est composé de "100% beeswax" (cire d'abeille), ce qui est manifestement impossible, car il ne contiendrait alors rien d'autre: aucun pigment, aucune huile, aucun solvant, ni aucun autre des composants utilisés dans les cirages, tel la cire de carnauba.

Mais l'affaire devient encore plus étonnante lorsqu'on examine le détail de la collaboration entre ces deux marques. Lobb dit qu'elle lui permet de bénéficier de "la vitalité, l’humour et l’espièglerie qui font la réputation de Paul Smith." Et on tombe à la renverse en apprenant que "ce nouveau partenariat se traduit par l’ajout de touches de couleurs, signature de Paul Smith en quelque sorte, à trois emblématiques John Lobb, choisis pour leur histoire et pour l’attrait contemporain qu’ils exercent."

Donc, le bottier le plus emblématique au monde a ressenti le besoin de faire appel à un créateur de mode extérieur pour "ajouter des touches de couleur", alors que Loake, Cheaney, Sanders, Grenson, Tricker's et bien d'autres ont pu se débrouiller tout seuls. Surprenant, non?

Le Willoughby, en veau velours

Mais les surprises ne s'arrêtent pas là. Le prix de ces nouveaux   modèles, dont l'esthétique ne révèle aucun génie particulier et sur  laquelle nous ne nous attarderons pas, en sont une autre, et pas des  moindres.

Le richelieu Westbourne en cuir lisse est vendu 990€; le derby Willoughby en veau velours coûte 940€, et le mocassin non doublé Lucca, également en veau velours, est vendu 515€.

S'il n'y a pas de quoi se pâmer sur la ligne de ces modèles, il y a de quoi s'étrangler en lisant ces chiffres.

En effet, ces prix sont d'autant plus étonnants que ces chaussures, contrairement à ce que l'on pourrait supposer, ne sont pas fabriquées dans l'atelier de bottier que suggère le nom de "John Lobb bootmaker", mais dans la fabrique que la société a acheté à Northampton, en Angleterre, en plein cœur de la patrie de la chaussure anglaise.
J&L Ltd, Oliver St., Northampton
Cette fabrique porte deux mentions sur sa devanture: en haut, "J. L. & Co. Ltd." et, plus bas, "Master Shoemaker to John Lobb." Deux mentions dont on peut dire qu'elles ne participent pas à la transparence et à l'information du consommateur.

Mais là où les autres manufactures de la place vendent leurs produits entre 200€ et 400€, Lobb vend les siens largement plus du double, sans que l'on n'en perçoive d'emblée la justification, si ce n'est que le prix comprend d'office des embauchoirs "teintés et cirés" (et de ce fait inutiles, car sans pouvoir absorbant).

(Ajouté  le 6 décembre 2012: D'ailleurs, cette vidéo promotionnelle montre la fabrication des chaussures Lobb-Paul Smith dans le détail, et on remarquera d'emblée qu'elle ne diffère guère de celle des chaussures Loake ou Barker, de qualité comparable mais vendues à des tarifs plus...réalistes.)

Les embauchoirs gratuits ne sont pas fournis avec le modèle Lucca, sans doute parce que leur prix doit être trop "serré" pour inclure ces embauchoirs...Et l'on pourrait légitimement s'interroger sur la vente "par lots" de chaussures et embauchoirs, que l'on en veuille ou non.

Enfin, tout s'explique....(ou presque)

Si l'on pouvait légitimement s'étonner de l'initiative conjointe de Lobb et de Paul Smith, on peut facilement imaginer une explication commerciale. Je dis imaginer car, lorsque nous l'avons interrogée, la société française Lobb n'a pas répondu.

Cette initiative vient, en effet, de John Lobb SAS, filiale française du groupe Hermès, et qui n'a plus aucun lien capitalistique avec la société éponyme anglaise, John Lobb Ltd., encore détenue, elle, par la famille du fondateur.

John Hunter Lobb, directeur de cette maison anglaise, nous a expliqué que les deux sociétés travaillent de façon "absolument indépendante", et que son entreprise n'a aucun lien avec la fabrique ouverte à Northampton par la société française, ni avec d'autres initiatives de celle-ci. "Nous continuons, comme toujours, à ne réaliser que des chaussures et des bottes faites à la main et sur mesure," nous a-t-il précisé.

En fait, lorsqu'en 1976 Hermès racheta les activités françaises de la "Lobb anglaise", qui avait décidé de se retirer du marché français, elle voulut en développer les ventes. Dès 1982, elle lança une gamme de chaussures prêtes-à-porter, et en 1990 elle ouvrit un "atelier" à Northampton, où est depuis fabriquée cette collection. Il est d'ailleurs assez savoureux de voir comment Hermès, qui se dresse maintenant en défenseur de l'artisanat de qualité face aux visées expansionnistes du groupe LVMH, a agi jadis dans le domaine de la chaussure.

Pour l'anecdote, notons que la production annuelle de la maison Lobb française était, en 2009, de 1.000 paires de chaussures sur mesure et de 20.000 paires de chaussures prêtes-à-porter produites à Northampton, d'après un intéressant article du quotidien dubaïote The National. Le rapport, de 20 à 1 en faveur des prêtes-à-porter, montre de quel côté se situe le centre de gravité financier de la société.

On est loin de la production de chaussures sur mesure que rendit célèbre l'atelier de John Lobb au 9, St. James's Street à Londres, et de l'atelier parisien qu'il ouvrit en 1902.

Tout ceci, donc, pour constater que "le" Lobb qui nous fait rêver depuis des décennies est resté tranquillement sur les terres de ses ancêtres, alors que son cousin français, tout en vendant des chaussures prêtes-à-porter à près de 1.000€, s'est laissé griser par l'appel du large, et a ouvert de boutiques à Londres (1995), New York (2000), Paris (2006), Dubai (2009) et Shanghai (2010), deux autres étant prévues à Hangzhou et Pékin.

Au 9, St. James's Street, Londres, depuis 184
John Lobb l'anglais ne cache pas le prix élevé de ses prestations, que son homonyme français ne présente pas sur son site web. L'anglais vend ses célébrissimes chaussures sur mesure à partir de £2.860 hors taxes, soit £3.432 toutes taxes comprises (environ 4.300€), et on y trouve toutes sortes de modèles et de prix, y compris des embauchoirs pour botte cavalière à £1.560 h.t., soit 2.400€ TTC.

Ces prix ne sont certes pas bon marché, mais pas non plus totalement extravagants lorsqu'on les compare à ceux de bottiers bien moins célèbres. Et, chez Lobb, on achète aussi un peu d'histoire, un article véritablement d'exception, et pas une chaussure produite en grande série à trois ou quatre fois le prix des concurrents. Les deux Royal Warrants qu'exhibe Lobb l'anglais au-dessus de sa porte, ceux du Duc d'Edimbourg et du Prince de Galles, témoignent de l'estime que lui portent ses clients.

Vu l'histoire de Lobb et la réputation d'Hermès, il est extrêmement difficile de comprendre ce qui a pu les motiver à initier une coopération avec Paul Smith, dont on ne peut s'empêcher de penser qu'il ne joue pas dans la même catégorie, quels que soient ses mérites par ailleurs. Et, si on ne voit pas trop ce que Lobb a à y gagner, on ne voit que trop bien ce qu'il risque d'y laisser.

Même si elles ne sont pas vendues 1.000€, notre boutique en ligne, Britannic Shoes, propose une large sélection de chaussures produites à Northampton, selon les méthodes traditionnelles, et à des prix plus anglais que parisiens. Venez le constater de vous-même: vous pourrez y acheter quatre paires pour le prix d'une seule. Nous vous y attendons.


Pour en savoir un peu plus, nous conseillons ce reportage vidéo du quotidien anglais The Guardian sur la maison Lobb & Co. Ltd. à Londres.


Pour clarifier:
Voici comment s'articulent à l'heure actuelle les sociétés et entités qui portent le nom "Lobb":
____________________________________________

John Lobb Ltd.
Détenue par les descendants de John Lobb
Enseigne: Lobb
9, St. James's Street,
Londres
Royaume Uni
www.johnlobbltd.co.uk
____________________________________________

John Lobb SA (ou SAS) (Paris) 
Filiale du Groupe Hermès
Enseigne: John Lobb Bootmaker
Exploite les boutiques John Lobb à travers le monde.
32, rue de Mogador
Paris
www.johnlobb.com

-- Filiale anglaise:
J. L. & Company Limited, 
a company incorporated in England, registered with the Northampton Register of Trade under number 0164878
www.johnlobb.co.uk

a) siège et fabrique de prêt-à-porter:
Westminster Works
Oliver Street,  
Northampton 
Northamptonshire, NN2 7JL
Royaume Uni

b) Boutique anglaise:
88, Jermyn Street
Londres, SW1Y 6JD 
Royaume-Uni

c) Boutique en ligne (US e-store) 
John Lobb, Inc. Los Angeles
South Coast Plaza
333 Bristol St.
Costa Mesa CA. 92626

us.estore.johnlobb.com/

1 commentaire:

  1. Très intéressant cet article, je suis sur que les chaussures Lobb SAS ne sont pas de mauvaise facture mais en effet, la note est très salée... Ce qui m'étonne le plus en fait c'est que Lobb anglais se laisse faire et accepte que Lobb français alimente le flou sur les liens qui les unissent et pire encore qu'il s'implante sur son terrain, l'éducation du gentleman anglais sans doute. C'est l'histoire de l'arroseur arrosé.
    Quand à l'intérêt de faire une collection Lobb / Smith, je pense que c'est tout simplement un moyen pour Smith de s'acheter une légitimité dans le monde de la chaussure avec un grand nom et pour Lobb de trouver de nouveaux clients, Smith est bien plus connu du grand publique. Ceci dit, je ne suis pas analyste en marketing...

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