vendredi 21 septembre 2012

Jack, George, Weejun, Wellie, Hush Puppies:
quelques noms étranges du monde de la chaussure

Le monde anglo-saxon domine, de la tête et des épaules, l'histoire de la chaussure, et encore aujourd'hui c'est la terminologie anglaise qui s'est imposée de par le monde. Nous avons vu précédemment la contribution de l'Inde britannique à la terminologie de la chaussure, et nous explorons ici quelques appellations anglaises et américaines qui ont un certain intérêt anecdotique.

Des excentricités américaines dans le civil...

Tout le monde connaît les mocassins "penny loafer" américains, dont le marché en Europe, et surtout en France, est dominé par ceux de marque Sebago. Mais on sait moins que ce type de chaussure a été inventé par la société G.H. Bass & Co., qui a commercialisé les premiers sous le nom de "weejun."






Le modèle Logan est une réédition contemporaine du premier mocassin "weejun" commercialisé par Bass, son inventeur.


D'où vient ce nom étrange? C'est la contraction phonétique de "Norwegian", c'est à dire norvégien, car ce mocassin a été copié sur les chaussures légères, mais solidement cousues, que portaient les pêcheurs de ce pays une fois à terre. Bass y ajouta une applique en cuir dans laquelle il découpa une sorte de losange aplati à but décoratif. Les étudiants de la Nouvelle Angleterre y mirent une pièce d'un centime ("penny") et voilà: le "penny loafer", c'est à dire le "mocassin au centime", était né.

Et d'où vient le nom de Hush Puppies, cette célèbre marque américaine dont le titre de gloire était d'avoir inventé les chaussures qui ne font jamais mal aux pieds?



Réédition de la Hush Puppies originale de 1957
Là, c'est un peu plus alambiqué. Les américains avaient pris l'habitude d'appeler leurs pieds douloureux les "barking dogs." Or, en dinant un soir dans un restaurant rural du sud du pays, un vendeur de la société nouvellement constituée se vit servir des "hush puppies," des galettes de maïs frit que l'on appelait ainsi car les fermiers en donnaient à leurs chiens pour les faire taire.

L'inspiration fut, semble-t-il, immédiate: la chaussure qui allait faire taire les "chiens aboyants" (les "barking dogs", c'est à dire les pieds douloureux) s’appellerait donc "Hush Puppies," ce qui veut dire "taisez-vous, les chiots". Et, malgré ce nom plus qu'inhabituel, le succès fut immense et immédiat.

Lancée en 1957 au salon de la chaussure de Chicago, cette nouvelle chaussure décontractée -- un derby très confortable associant une tige très flexible en daim traité anti-tâches (avec, pour la première fois, le célèbre Scotchguard) à une semelle très flexible et non-dérapante en crêpe allégé -- prit d'assaut l'Amérique. Dès mi-1959, un million de Hush Puppies avaient déjà été produites, et en 1963 un américain sur dix en avait dans sa garde-robe, d'après les archives du fabricant. Une légende était née, même si le passage des années 1980 se révéla plus ardu.

...aux noms obscurs des bottes militaires anglaises

Depuis le 19ème siècle, de nombreuses armées ont adopté une variante du Wellington boot, une botte polyvalente non lacée qui porte le nom de son inventeur, le Général Arthur Wellesley, 1er duc de Wellington, vainqueur de Waterloo, puis premier ministre.

Celui-ci avait admiré les bottes portées par la cavalerie de l'Etat allemand de Hesse, et demanda à son bottier de l'adapter à son goût, en supprimant les enjolivures et en remontant légèrement le talon tout en resserrant la partie montante. Réalisées en cuir souple, ces bottes très confortables pouvaient être portées au combat aussi bien que, le soir, au bivouac, et furent vite adoptées par ses officiers. Par la suite, les civils suivirent, à tel point que dès le milieu du 19ème siècle les Wellington étaient devenus le soulier de rigueur des gentlemen anglais (la chaussure, telle que nous l'entendons aujourd'hui, n'avait pas encore été inventée). Par la suite, le Wellington fut aussi adopté par plusieurs armées, dont la soviétique et l'allemande.

Quoique remplacé dans le code vestimentaire de nombreux régiments anglais, le Wellington boot reste de rigueur pour les unités les plus traditionnelles, comme la Household Cavalry. On remarquera la tige en cuir verni, pour les soirées habillées au mess.


Il ne faut pas confondre le Wellington boot militaire, en cuir, et sa version plus récente en caoutchouc, que les civils anglais appellent aussi familièrement les wellies. Ce qui nous permet un petit détour par la France.

L'américain Charles Goodyear, dont le fils inventa la célèbre machine à coudre éponyme, était l'inventeur de la vulcanisation, un procédé qui rendait le latex naturel à la fois étanche et élastique. Il en céda un brevet partiel à au autre américain, Hiram Hutchinson, qui s'installa en France, à Montargis, pour produire les toutes premières bottes étanches en caoutchouc. En souvenir de son pays, il prit pour enseigne l'emblème national, A l'Aigle, qu'à gardé la célèbre société Aigle que nous connaissons aujourd'hui.

Le Wellington boot -- le vrai, en cuir -- reste encore aujourd'hui la chaussure formelle des régiments des plus traditionnels, comme la Household Cavalry. Il est également encore en vente sur plusieurs sites de fournisseurs d'uniformes, à environ £200.

Savez-vous ce qu'est le George Boot? Il s'agit d'une variante de la bottine chukka, adoptée par les forces armées britanniques pour remplacer la botte habillée d'ordonnance, le Wellington boot, pour les nombreuses circonstances officielles qu'affectionnent particulièrement les militaires de Sa Gracieuse Majesté: défilés, réceptions, soirées habillées au mess, etc.

En fait, le Wellington boot, botte  assez lourde montant presqu'au genou, était assez rigide et assez inconfortable comparé aux bottines montantes à la cheville, et convenait donc moins bien aux réceptions qu'aux champs de bataille. Toujours attentifs à leur confort, comme tout bon militaire, les cavaliers britanniques eurent alors l'idée de rehausser les œillets de leurs chukka boot de manière à ce que le laçage soit entièrement caché par le bas du pantalon. On pouvait ainsi être très confortablement chaussé sans pour autant laisser voir que l'on ne portait pas de Wellington boots, et ce sans dénaturer la ligne du cou-de-pied. Il demandèrent donc que ce modèle de botte soit officiellement homologuée par l'armée comme alternative au Wellington boot.

Le quotidien anglais Daily Telegraph du 29 décembre 1951 rapporte que le roi George VI venait d'approuver l'adoption de cette nouvelle bottine, de couleur marron et à trois oeillets, pour les tenues des officiers. Le roi avait, paraît-il, horreur de voir les lacets dépasser sous l'ourlet du pantalon, et le George boot les dissimulait entièrement. Cette botte, en cuir noir verni ou mat, fut par la suite adoptée par de nombreux régiments pour accompagner leurs tenues de soirée (mess dress).

On peut supposer que c'est donc le Roi George VI qui donna son nom à cette bottine dont les premiers exemplaires, d'après le rapport "Eye on Industry" de 1978, furent produits par la société Mansfield shoe company, aujourd'hui disparue.

Notons en passant qu'il y eut également, au 19ème siècle, une bottine appelée Prince George boot, du prénom de son inventeur, le 2ème Duc de Cambridge, et qui était en fait un Wellington raccourci au niveau de la cheville. C'était peut-être le précurseur, ou l'inspirateur, du George boot moderne.
(Nous remercions vivement Rebecca Shawcross, du Northampton Shoe Museum, pour son aide pour la rédaction de cette notice.)

Le George boot a un laçage plus haut que le chukk
Comme le montre cette photo, que nous devons à un site allemand de chaussures vintage (que tout amateur de chaussures devrait visiter au moins une fois), le George boot est conçu pour permettre le port d'éperons et -- ce qui n'était pas négligeable à l'époque où des gens moins fortunés choisissaient la carrière militaire -- coûtait la moitié d'une paire de Wellington boots.

Le George boot est, encore aujourd'hui, la chaussure d'uniforme que les militaires britanniques de tout grade doivent porter avec leur "mess dress," c'est à dire la tenue habillée équivalente au smoking (dinner jacket) des civils. Et on ne plaisante pas à ce sujet: le manuel d'habillement d'un régiment d'infanterie pris au hasard, le Rifle Regiment, compte 154 pages illustrées!

Une autre botte militaire britannique assez particulière est le Jack boot. Il s'agit cette fois d'une botte montant au-dessus du genou, et dont la partie extérieure comporte une "aile" qui couvre le genou et le bas de la cuisse une fois assis sur son cheval.

Le jack boot descend en droite ligne des cuissardes -- semblables aux bottes de postillon -- dont les cavaliers anglais du 17ème siècle repliaient le haut pour protéger leurs genoux avec plusieurs couches de cuir. Le nom vient de ce que cette variante incorporait une cotte de maille à l'intérieur de la doublure pour protéger au mieux.

Life Guard et ses jack boots, été 2012
Le vêtement renforcé de combat se disait alors, en français, "jaque," et les anglais reprirent le nom pour en faire, par analogie, le "jacked boot," ou botte renforcée, devenu jack boot, qui était donc une botte renforcée à la cotte de maille. Depuis, les matériaux ont évolué, et la cotte de maille n'est plus utilisée, mais les ailes protectrices restent.

Mais le jack boot d'aujourd'hui est identique à celui des bottes de la cavalerie lourde de l'époque napoléonienne, et il subsiste encore dans sa forme d'alors au sein de l'unique régiment monté (ci-contre) de l'armée britannique, le Household Cavalry Regiment, issue de la fusion de très anciens régiments, dont les Life Guards et les Blues and Royals.

Alors que les militaires de cette unité bénéficient toujours de bottes sur mesure fabriquées désormais par la société Schnieder Boots, installée dans le quartier de Mayfair, à Londres, des jack boots prêts à porter, si l'on ose dire, sont proposés à la vente aux civils, bien que leur prix -- £ 2,000 hors taxe la paire -- soit aussi dissuasif que l'impossibilité de s'en servir dans la vie courante.

Botte allemande, 1914.
Attention, encore une fois, à ne pas confondre ces Jack boots de la cavalerie avec les jackboots, nom donné populairement aux bottes d'ordonnance des armées allemande et soviétique, et dont la connotation en anglais les associe à des pouvoirs totalitaires. (Et  qui, il faut bien le relever, sont étonnamment similaires au Wellington boot.)

Comme nous l'avons vu plus haut, le Wellington boot anglais est une adaptation d'une botte de cavalerie allemande des 18ème et 19ème siècles, qui inspira à son tour la botte d'ordonnance de
 l'infanterie du Kaiser en 1914. Et la boucle est bouclée...


Nous ne vendons pas de jack boots, ni de Wellington, dans notre boutique en ligne, Britannic Shoes, mais vous y trouverez une large sélection de bottines chukka et desert boots qui, si elles sont moins martiales, sont largement plus confortables et mieux adaptées au monde civil contemporain. 

Et, bientôt, nous annoncerons une nouvelle initiative conjointe avec un bottier anglais qui, pendant des années, a fabriqué ces mêmes jack boots pour la Household Cavalry, et qui mettra bientôt son expertise à la disposition de clients civils -- et français.
A suivre.....


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