C&J ne trouve plus assez d'apprentis |
A chaque fois, l'industrie anglaise sut s'adapter, en se concentrant sur la qualité de sa production, même si chaque crise a provoqué son lot de faillites et de restructurations qui ont éclairci les rangs des manufactures traditionnelles du Northamptonshire, après avoir totalement dévasté celles du Leicestershire, deuxième région anglaise ou s'était développée cette industrie.
Mais se profile à l'horizon un danger encore plus grave, car il vient cette fois de l'intérieur, et auquel personne ne pensait réellement: les jeunes anglais sont de moins en moins attirés par les métiers de la chaussure, qui ont cependant comblé la génération de leurs parents.
Le premier signe fut donné il y a un an par la célèbre société Crockett & Jones, qui ne put trouver qu'un seul apprenti alors qu'elle en cherchait six pour remplacer des personnels partant à la retraite. Cet événement, passé inaperçu à l'époque, est raconté par un reportage de la BBC que nous avons récemment visionné.
Nick Jones, la directeur de la production, y expliquait que le problème n'est pas un manque de compétences, car celles-ci s'acquièrent; c'est que les jeunes ne veulent plus s'engager dans un métier difficile et minutieux, et qui ne les attire plus, malgré ce que les employeurs considèrent être de bonnes conditions de travail et une bonne paie.
"Le métier se meurt, car il n'y a plus de jeunes qui entrent dans la société," dit un ouvrier de 65 ans qui débuta dans la société comme apprenti à l'age de 15 ans.
Entré chez C&J comme apprenti à 15 ans, Fred Hamp y fabrique des chaussures depuis 50 ans. Qui le remplacera lorsqu'il prendra sa retraite?
Mise à jour du 6 décembre:
En répondant tardivement à nos questions, Crockett & Jones nous a fait savoir que ses problèmes de recrutement s'étaient atténués cette année, et qu'elle avait pu recruter 30 nouveaux employés. Pour y parvenir, cependant, il lui a fallu modifier ses procédures de recrutement et de formation, et de créer une cellule de ressources humaines chargée non seulement des nouvelles procédures de recrutement, mais également de l'intégration des nouveaux employés.
La société reconnaît que l'industrie toute entière a un problème de perception, mais pense que cela ira en s'améliorant au fur et à mesure que les emplois industriels reviendront au Royaume Uni. Et, s'il est vrai qu'il faut des années pour maîtriser les techniques requises, nous a précisé James Fox au nom de la société, c'est un investissement rentable, car il garantira au travailleur la sécurité de l'emploi.
Loake, autre grand nom de la chaussure anglaise, dit ne pas connaître de tels problèmes. Andrew Loake, son directeur général, nous a affirmé que, "Au contraire, il semble y avoir en ce moment plus de candidats pour un emploi dans ce secteur qu'il n'y a de postes à pourvoir." Il a ensuite précisé qu'il "est vrai que les candidats ne sont généralement pas déjà formés à nos métiers, mais ce n'est pas gênant car lorsque nous recrutons - de bouche à oreille, essentiellement - nos nouveaux employés suivent des formations approfondies en interne. Ils sont très motivés, et nos salariés sont extrêmement stables," conclut-il.
Les autres sociétés que nous avons interrogées n'ont pas répondu, ou ont répondu à côté, ce qui nous a obligés à chercher ailleurs. Un tel silence laisse supposer une gêne, car c'est un fait que le recrutement devient plus difficile chaque année.
Loake est peut-être une exception. Une autre grande marque de la chaussure anglaise, Tricker's, reconnaît manquer aussi de sang nouveau, nous apprend l'agence Reuters. Dans un article publié au mois de mai, Reuters écrivait que "Tricker's souffre d'une pénurie de jeunes travailleurs pour remplacer les plus anciens," et cite Scott McKee, un formier maison, qui déplore que "les jeunes n'en veulent plus. Ils sont plus intéressés par les jeux d'ordinateur ou l'informatique, ou que sais-je encore. C'est dommage," avant de reconnaître qu'il n'encouragera pas son propre fils à le suivre dans ce métier. "En réalité, les salaires n'y sont pas très intéressants," reconnait-il, et ceci même si l'industrie connaît actuellement un période particulièrement faste.
Barry Jones, l'un des directeurs de Tricker's, confirme dans cet article que les savoirs-faire traditionnels se perdent, que les lycées professionnels spécialisés se raréfient, et que les formations "maison" reviennent finalement très cher. "La perte des connaissances et des techniques est la principale menace pour l'industrie de la chaussure dans notre région," relève-t-il.
Mais, en fait, le problème dépasse largement la région du Northamptonshire, ainsi que l'explique sur son site la British Footwear Association, syndicat patronal des producteurs britanniques de chaussures. Constatant que "le déclin de la base industrielle de la chaussure a créé un déficit des savoirs-faire et une pénurie de techniciens bien formés," la BFA a mis sur pied, en collaboration avec des industriels et des organismes de formation professionnelle, un cycle de formation technique. Résultat: 28 stagiaires ont suivi le premier cycle de formation, en 2011 mais, apparemment, seuls cinq ont été diplômés. Néanmoins, un nouveau cycle a été reconduit sur 2012.
Maintenant, puisque la pénurie existe bien, faisons un peu de prospective.
Que se passerait-il si elle se généralisait, et si les jeunes recrues venaient à manquer de manière durable? Que deviendrait alors l'industrie anglaise de la chaussure de qualité, sans cette main d'oeuvre dont elle ne cesse de vanter le savoir-faire, et sur laquelle repose l'essentiel de son marketing?
Il n'y aurait alors qu'une seule possibilité: aller chercher du personnel à l'étranger, soit en le faisant immigrer (de plus en plus difficile, pour ne pas dire impossible, dans l'Angleterre contemporaine), soit en exportant le travail jusqu'à lui. Mais alors les chaussures anglaises ne le seraient plus tout à fait, et les consommateurs n'accepteraient probablement pas de payer £200 ou £300 des chaussures produites en Inde ou au Brésil, même à qualité égale.
Une fabrique de chaussures sur trottoir, en Inde. Si elle n'y prend garde, en proposant des salaires plus compétitifs et de meilleures conditions de travail, l'industrie anglaise de la chaussure pourrait en arriver là dans quelques années, contrainte de délocaliser par une pénurie de main d'oeuvre anglaise.
On assisterait alors à un retour à l'époque pré-industrielle, avec un petit nombre de bottiers produisant des chaussures sur mesure; quelques marques traditionnelles fabricant encore en Angleterre, mais vendant leur fabrication à prix d'or, et enfin une grande masse de chaussures bon marché, importées du tiers-monde, qui remplirait le vide laissé par le retrait de la chaussure de qualité en raison de l'absence de main d'oeuvre. Un peu comme la situation d'aujourd'hui, en somme, mais poussée à l'extrême, ce qui montre bien que cela n'a rien d'invraisemblable.
Si les jeunes ne retrouvent pas la motivation pour travailler à la fabrication de belles chaussures, il ne voudront pas, non plus, devenir cordonniers. Et sans cordonniers pour les ressemeler, les chaussures cousues Goodyear perdraient leur raison d'être. Attirer et garder une main d'oeuvre experte: voici le véritable défi auquel doit faire face l'industrie anglaise de la chaussure de qualité pour homme.
Elle a la chance que ce défi se présente à un moment où son activité tourne à plein, où les ventes sont en plein boom, et où il y a donc des bénéfices à investir pour l'avenir. Reste à savoir si les managers tomberont dans le travers traditionnel des anglais - la recherche à tout prix de profits à court terme - ou s'ils sauront - et leurs actionnaires avec eux - investir ces bénéfices dans une vision à long terme.
Un conseil, donc: tant que cela dure, allez faire vos emplettes dans notre boutique en ligne, Britannic Shoes, où vous trouverez une large gamme de belles chaussures cousues Goodyear de grande qualité. Et achetez-en suffisamment pour tenir jusqu'à vos vieux jours, afin de ne pas dépendre du degré de motivation des futurs apprentis anglais!
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