dimanche 18 novembre 2012

Fabrication à la main & "hand-made": An 2

Nous nous étions plaints, dans un de nos tous premiers billets, des restrictions qu'apporte toujours une loi française de 1948 à l'utilisation de l'appellation "fait main" dans le secteur de la chaussure, et qui nous empêche notamment de qualifier nos chaussures, pourtant parfaitement "hand-made" au Royaume Uni, de "fabriquées à la main" dès qu'elles franchissent la Manche.

Elles sont faites avec mes pieds, mes chaussures?
Nous avions également expliqué avoir déposé une plainte à ce sujet auprès de la Commission européenne, afin que ce texte soit mis en conformité avec le droit européen, qui n'admet aucun "obstacle technique au commerce intracommunautaire." 

Nous considérons que ce texte en est un exemple d'école, car il interdit de facto l'importation de chaussures "faites main" en créant une distinction parfaitement artificielle et spécieuse entre méthodes de fabrication. Et, une fois cette distinction faite, on voudrait s'en servir pour contraindre les chaussures produites à l'étranger de s'y conformer, et donc d'abandonner leurs spécificités en pénétrant le marché français.


Outre son aspect inutilement restrictif, nous estimons que ce texte est aussi profondément illogique, car il interdit, pour les chaussures portant l'appellation "faites main," tout recours à la machine "sauf en ce qui concerne l'assemblage des diverses pièces composant la tige". Mais pourquoi donc cette exception?


Soyons clairs: notre propos n'est pas de prétendre qu'une chaussure fabriquée en série est équivalente à une chaussure façonnée à la main par un bottier. Mais si on veut réserver à cette dernière l'appellation "fait main", que l'on soit cohérent, et qu'on interdise alors tout recours à la machine pour sa fabrication.

Machine ou pas machine?

Pourquoi, en effet, autoriser l'usage de la machine pour le montage de la tige, mais l'interdire pour le montage de la semelle? Pourquoi la machine serait-elle licite pour une opération, et pas pour une autre? Sur quel fondement, juridique ou technique, repose cette distinction?

Le mystère demeure entier, et le syndicat des bottiers, que nous avions interrogé à ce sujet, ne s'était même pas donné la peine de nous répondre. Également saisie par nos soins, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes n'a pas davantage réagi, ce qui montre, là aussi, l'importance que l'administration peut accorder à cette question.

Comme beaucoup d'autres, Tricker's, l'un des fabricants anglais les plus traditionnels, utilise des machines à coudre pour la réalisation de ses chaussures "hand made"




Bruxelles à la rescousse?

Ignorées par l'administration française, nos interrogations reçurent meilleur accueil à Bruxelles, où la Commission européenne veille au respect des règles qui régissent le marché unique européen et donc la libre circulation des personnes, des biens et des services.

Hélas, les procédures de la Commission, et les fonctionnaires qui les mettent en oeuvre, ne sont que très marginalement plus rapides qu'un glacier. Ils nous ont informés au cours de l'été que les autorités françaises, après avoir demandé une prorogation de leur délai de réponse, ont finalement répondu à notre plainte après l'expiration de ce nouveau délai. Leur position consiste à affirmer que la loi de 1948 n'est pas indument restrictive, et qu'elle est donc parfaitement conforme au droit européen, sans apporter aucun élément pour étayer ces affirmations. En somme, le célèbre "Circulez, y'a rien à voir" si cher à l'administration française.

Si les services de la Commission, qui étudient cette étape de la procédure depuis bientôt quatre mois, arrivent à se mettre d'accord, notre plainte devait donc passer à l'étape suivante, au cours de laquelle la Commission mettra la France en demeure d'amender sa législation, ou à défaut d'expliquer le fondement juridique de son refus de le faire.

Sauf que les délais administratifs des services de la Commission sont encore plus longs que prévu. La mise en demeure doit être approuvée par l'ensemble de la sous-direction de la Direction Générale Entreprise et Industrie, qui ne se réunit dans ce but qu'une fois par mois. Ayant raté la réunion de septembre, puis celle d'octobre, nous espérions qu'une décision puisse être prise début novembre, mais ce fut une nouvelle déception. Déception d'autant plus marquée que nous sommes arrivés au premier anniversaire du dépôt de cette plainte.

Nous avons néanmoins bon espoir d'obtenir gain de cause.

Il faut dire que, même avant notre action, la désormais célèbre loi de 1948 apparaissait déjà tombé en désuétude. Nous n'avons par exemple trouvé aucune trace de réunions du Comité Consultatif de la Botterie Française, créé par l'article 6 de cette loi, après sa séance inaugurale, ce que donne une idée de l'importance que ses douze membres pouvaient conférer à son action.

Fallait-il nous lancer cette action? C'est vrai, nous aurions pu nous éviter cette peine, mais on ne peut dépendre du bon vouloir d'une administration qui peut changer de politique sans préavis et sans raison apparente. Tant qu'un texte n'est pas abrogé, il reste applicable, et un éventuel contrevenant serait donc à la merci d'un procureur ou d'un magistrat voulant faire du zèle, ou tout simplement saisi par un concurrent malveillant.

A ce stade, la loi de 1948 devrait, d'une manière ou d'une autre, ne plus pouvoir s'appliquer, soit parce qu'elle serait abrogée, soit parce que les autorités françaises s'engageraient auprès de la Commission européenne à ne pas engager de poursuites de ce chef, ce qui reviendrait, grâce au Traité de Rome, à peu près à la même chose.

Les producteurs anglais auraient ainsi enfin le droit de dire que leurs chaussures sont tout autant "faites main" en France qu'elles sont "hand made" au Royaume Uni, sans que l'administration française ne trouve à y redire.

Et ce sera justice car, comme quiconque ayant visité une usine traditionnelle de chaussures cousues Goodyear peut en témoigner, cette fabrication est non seulement très manuelle, mais également très physique, et demande tout autant de dextérité qu'une fabrication "à la main" au sens de la loi de 1948.



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